Alors que démarre sa traditionnelle opération promotionnelle des 25 jours, Auchan France est sous pression maximale. Jamais sans doute dans son histoire, l’enseigne d’hypermarché n’avait abordé une fin d’année de manière aussi affaiblie. Sur les neuf premiers mois de 2014, la filiale française du groupe nordiste accuse un retard de 430 millions d’euros par rapport à son objectif de 500 millions de cash* à atteindre sur l’exercice. Certes, chez Auchan, du fait de la politique commerciale, le poids des ventes de fin d’année est très supérieur à la moyenne du secteur. Par le passé, il est arrivé que des mois de décembre génèrent une activité équivalente à celle de quatre mois creux. Sauf que cette année, la capacité de l’enseigne à finir sur les chapeaux de roue semble relever de la mission impossible. Auchan subit de plein fouet la guerre des prix qui fait rage entre enseignes. En rayon, le prix de vente moyen des articles a chuté de 2,5 % depuis janvier. Du fait de la baisse du pouvoir d’achat, cette déflation ne profite pas aux volumes vendus. Conséquence : le chiffre d’affaires est également en repli de 2,5 % par rapport aux neuf premiers mois de 2013.
Les chefs de rayon ont perdu leurs repères
Dans les magasins hexagonaux, le pessimisme gagne toutes les catégories de salariés. Plusieurs des initiatives prises depuis un an par Vincent Mignot, le directeur général, ont eu pour effet de déboussoler le personnel, y compris l’encadrement. Il y a d’abord eu le remplacement des 53 rayons par 99 marchés et la suppression de la consolidation des secteurs. Finies les traditionnelles péréquations de marges qui permettaient de piloter en temps réel la rentabilité. « Les chefs de rayons ont perdu leurs repères, explique un délégué syndical. Etranglées par l’alignement des prix sur ceux des concurrents, les équipes commerciales n’ont plus qu’une visibilité très réduite sur la rentabilité de leur commerce. » Par ailleurs, le plan de départ de 800 cadres initié en début d’année provoque une véritable saignée dans les magasins. Sans parler des 58 millions d’euros provisionnés sur l’exercice pour financer ce plan.
"Aujourd'hui, l'emploi est véritablement menacé"
Les récentes alliances aux achats annoncées avec Système U et Metro ne produiront leurs premiers effets que sur l’exercice 2015. Reste que les quelques dizaines de millions d’euros qu’elles permettront d’obtenir des fournisseurs seront loin de compenser la dégradation des résultats de l’entreprise en France. En 2009, Auchan France générait 1 milliard de cash. Au rythme actuel, l’entreprise pourrait ne plus rien gagner d’ici deux ans.
La baisse des résultats pèse significativement sur les multiples primes (intéressement, participation, progrès, actionnariat salarié) en vigueur chez Auchan. « Mais il y a plus grave, s’alarme un délégué du personnel. Aujourd’hui, l’emploi est véritablement menacé ». Ainsi, une vingtaine de magasins seraient durablement en difficulté. La conjoncture liée à la crise, à la baisse du pouvoir d’achat et à la guerre des prix sur les grandes marques de PGC est loin d’être seule en cause. L’évolution même du métier et le concept de grand hyper - l’ADN d’Auchan - posent question.
« Nous sommes en fin de cycle » reconnaît un actionnaire familial. L’enseigne souffre comme jamais sur le non-alimentaire, en particulier sur l’équipement. Les soldes textile du début de l’été ont fait un flop. Des réflexions sont en cours autour de formes de vente « cross canal » : faut-il se contenter d’un showroom en magasin et privilégier la vente en ligne ? « Ce qui est sûr, commentait récemment l’un des dirigeants de l’entreprise, c’est qu’il faut que nos équipes réalisent que nous ne pourrons continuer avec ce modèle, sur cette pente. Il y aura forcément des renoncements ».
Vincent Mignot est persuadé qu’il tient le bon cap. « Si vous doutez, vous n’avez plus votre place » intime-t-il à ses cadres. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pourtant contre lui dans l’entreprise. On lui reproche pêle-mêle de n’avoir pas su s’affranchir d’Arnaud et de Gérard Mulliez - lesquels semblent d’ailleurs continuer de lui faire confiance -, de ne pas s’être suffisamment bien entouré, et puis surtout d’avoir multiplié à l’excès projets et priorités au point de plonger l’entreprise dans une situation inextricable.
Au mois d’août, lors de la présentation des résultats semestriels, la direction du groupe avait émis l’équivalent d’un avertissement sur les résultats de la France et de l’Italie. Depuis, dans la péninsule, Christian Iperti, le directeur général de la filiale, a été débarqué. Même si officiellement il s’agit de le nommer « directeur de la supply chain internationale du groupe ». En France, du fait du plan de reconquête lancé au printemps, Vincent Mignot semble bénéficier d’un sursis. La réussite ou non de l’opération des 25 jours sera cruciale, non seulement pour l’entreprise, mais également pour lui-même.
* en terminologie Auchan, le cash correspond à l’EBITDA, le résultat d’exploitation avant amortissements, frais financiers et impôts.