Pour les uns, c’est une révolution qui a bouleversé le quotidien des Français et modifié en profondeur leurs habitudes d’achat. Pour les autres, c’est une horreur absolue responsable de l’enlaidissement des entrées de ville et de la mort du petit commerce. 40 ans après son invention, le centre commercial suscite toujours autant de controverses. Fort d’un réseau de plus de 500 unités réparties sur l’Hexagone, il est néanmoins devenu un élément incontournable du paysage commercial. Une destination plébiscitée chaque semaine par des millions de chalands qui viennent en voiture y remplir leur coffre … et y vider leur portefeuille.
Ce 27 mars marque l’anniversaire du premier centre commercial ouvert en France. Sa genèse ne manque pas de piquant. Tout commence à Englos, en périphérie de Lille. Nous sommes en 1969. Gérard Mulliez, fils du fondateur de Phildar, ne croit guère à l’avenir du fil à tricoter qui a pourtant fait les belles heures de la famille. Son credo à lui : l’hypermarché. Deux ans plutôt, il en a ouvert un, à l’enseigne Auchan, près de Tourcoing, non loin de la frontière belge et le succès a été extraordinaire. D’où sa volonté de dupliquer le modèle. C’est sur un terrain en bordure de l’autoroute Lille-Dunkerque qu’il jette son dévolu. Il a besoin d’une dizaine d’hectares mais le propriétaire, un agriculteur, n’accepte de vendre qui si on lui reprend l’intégralité de sa ferme, une centaine d’hectares en l’occurrence. Conseil de famille chez les Mulliez. Les débats sont vifs au sein de l’association familiale, sollicitée pour apporter les fonds. A quoi bon immobiliser une somme si importante pour des terrains supplémentaires dont on n’aura que faire. Face à ses cousins récalcitrants, Gérard Mulliez, convaincu du potentiel du site, reçoit le soutien de son père : « Le terrain, explique le patriarche (photo ci-dessous) pour emporter l’adhésion du clan, c’est la seule chose au monde qu’on ne fabrique pas ». Cette acquisition forcée, les Mulliez n’auront pas à la regretter. A côté de son hypermarché, pour utiliser les hectares inutilisés, Gérard Mulliez a l’idée d’installer différentes surfaces spécialisées. Au sein de la famille, plusieurs cousins ont ainsi la possibilité de créer leur propre enseigne. C’est par exemple à Englos que Flunch, Norauto, Kiabi ou Décathlon verront le jour. Chez les Mulliez, on appelle cela la « marche en escadre » ou comment profiter de l’attractivité de l’hyper, une fois les clients sur le parking, pour leur proposer toute une palette d’enseignes complémentaires. Au tournant des années 70, tout concourt à faire de la formule une réussite: la présence croissante de véhicules dans les foyers, la généralisation du travail des femmes qui les incite à regrouper leurs courses en fin de semaine, l’explosion de l’offre des marques et l’avènement du shopping de masse, etc.
Dans la foulée de l’énorme succès populaire rencontré à Englos (ci-contre l'article publié à l'époque dans La Voix du Nord), le concept de centre commercial ou de galerie (quand les boutiques sont sous le même toit que l’hyper) va très vite essaimer dans tout l’Hexagone. Et si les Mulliez sont aujourd’hui devenus la première fortune professionnelle du pays, c’est incontestablement grâce à ce pari fait par les deux Gérard, père et fils. A l’heure où chez Carrefour, Casino ou Accor, on ne parle que de cessions d’actifs immobiliers (pour faire rentrer du cash), le clan nordiste, lui, reste fidèle à sa stratégie de pleine propriété des murs de ses magasins. C’est d’ailleurs l’un des fondamentaux de sa stratégie d’expansion. Aujourd’hui, quand ils prospectent des terrains à la périphérie des villes de Sibérie ou du Jiangsu, les cadres d’Immochan (la branche promotion immobilière du groupe Auchan) ne se portent jamais acquéreurs de surfaces inférieures à 30 hectares. Une manière de « sécuriser » suffisamment de terrains autour des futurs hypermarchés. Et de se constituer un solide patrimoine de père de famille, en mémoire des préceptes de l’Oncle Gérard.
40 ans après son ouverture, le centre commercial d’Englos est devenu une ville à part entière qui emploie 2 500 salariés et reçoit quotidiennement la visite de 30 000 clients, 50 000 en fin de semaine. Ce gigantesque temple de la consommation regroupe 90 enseignes auxquelles s’ajoutent les 70 boutiques de la galerie. L’an passé, malgré la supposée désaffection des clients pour les mastodontes de son genre, Auchan Englos est parvenu à grappiller encore 1 % de revenus supplémentaires, à 305 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, ce qui en fait le 3e hyper français. Contrairement au paysan qui lui avait vendu sa ferme en 1969, Gérard Mulliez, lui, à l’évidence, continue à faire son blé sur ses terres.
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